Interview’Obois
En novembre dernier, l’AFH a contribué à l’acquisition par la Bibliothèque nationale de France du manuscrit de la Sonate pour hautbois de Dutilleux. À cette occasion, nous avons posé quelques questions à Mathias Auclair, directeur du département de la Musique à la BnF.
| Mathias Auclair à la Bibliothèque-musée de l’Opéra - photo de Béatrice Lucchese/BnF |
La BnF a acquis au mois de novembre dernier le manuscrit de la Sonate pour hautbois de Dutilleux. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette acquisition ?
Avant de vous raconter cette histoire, je dois vous préciser que le département de la Musique acquiert très régulièrement des manuscrits musicaux et que chaque entrée dans les collections de la BnF constitue une aventure singulière et s’inscrit au sein d’une politique qui vise à enrichir les collections nationales dans tous les champs couverts par la création musicale et dans toute la profondeur historique de celle-ci. Les acquisitions de ces derniers mois l’illustrent assez bien : deux manuscrits de Charles Gounod (le manuscrit de l’une de ses dernières œuvres, Saint François d’Assise et une centaine de pages retirés par le compositeur du manuscrit de Faust détenu par la BnF depuis les années 1970), deux manuscrits de Dutilleux (la sonate pour hautbois et piano et Au gré des ondes pour piano), un manuscrit de Messiaen (Les Corps glorieux pour orgue), deux dossiers de travail de Georges Brassens pour Le grand chêne et Le Blason…
Pour ce qui regarde spécifiquement la sonate pour hautbois et piano de Dutilleux, j’avais été averti par le ministère de la Culture, dans le courant de l’année 2020, de la tenue, en automne, de ventes aux enchères de musique dans le cadre de la liquidation de la société Aristophil. Au sein des listes succinctes que j’avais alors reçues, mon attention avait été attirée par un certain nombre de lots et notamment par les manuscrits de la sonate pour hautbois et d’Au gré des ondes de Dutilleux. En effet, Dutilleux fait partie des figures éminentes de la musique français du XXe siècle et même s’il a cédé la plupart de ses manuscrits à la Fondation Paul Sacher, il a toujours eu pour la BnF beaucoup d’amitié. Certains de mes collègues me racontent encore ses visites chaleureuses, sa gentillesse et sa générosité : de son vivant, il a donné à la BnF le manuscrit de l’une de ses grandes œuvres orchestrales, Timbres, espace, mouvement. Compte tenu de l’importance du compositeur dans l’histoire de la création musicale, il m’a toujours paru essentiel que ses œuvres soient bien représentées dans les collections nationales et valorisées. C’est la raison pour laquelle la BnF a pris une part active lors du centenaire d’Henri Dutilleux, en 2016, en proposant – en partenariat avec la Philharmonie de Paris – une présentation de pièces dans la salle de lecture du département de la Musique retraçant le parcours du compositeur. En 2018, elle a fait classer Trésor national et a acquis le manuscrit de son chef-d’œuvre, les Métaboles, grâce aux fonds levés lors du dîner des mécènes de la BnF. Encore fallait-il vérifier sur pièces l’intérêt de ces manuscrits pour pouvoir envisager une acquisition. À la suite de leur examen, dans les jours qui ont précédé la vente, ces manuscrits m’ont paru de toute première importance. Les collègues qui instruisent avec moi les dossiers d’acquisition étaient convaincus eux aussi : Au gré des ondes contenait trois pièces inédites de belle facture qui rendaient l’acquisition du manuscrit plus que souhaitable ; le manuscrit de la sonate pour hautbois accompagné d’épreuves corrigées permettaient de retracer les étapes de la genèse de cette œuvre et constituaient donc des sources de première importance pour le musicologue qui souhaiterait s’atteler à une édition critique. Par ailleurs, compte tenu de la notoriété de la sonate, il me semblait intéressant que des interprètes puissent à volonté se référer au manuscrit du compositeur en cas de doutes sur la version proposée par la partition éditée. Ma conviction quant à la pertinence de l’acquisition a été encore renforcée par les contacts que j’ai eus avec différentes personnalités qui me demandaient de faire l’acquisition de ces manuscrits pour la BnF.
Depuis deux ans, j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien amical de l’AFER pour acquérir les manuscrits de grands chefs-d’œuvre du patrimoine musical français : la Marche écossaise de Debussy en 2019, Saint François d’Assise de Gounod au début de l’année 2020. J’ai réussi à convaincre ce mécène bienveillant et généreux de nous soutenir de manière très importante pour les acquisitions de la fin de cette année. J’ai pu compter aussi sur le soutien d’un ami hautboïste et de l’AFH, que je ne saurais trop remercier. Lors de la vente, les enchères n’ont heureusement pas été trop élevées et les fonds réunis ont donc permis de couvrir l’acquisition de la sonate pour hautbois de Dutilleux (et de nombreux autres manuscrits) en quasi-totalité.
Le manuscrit de la sonate pour hautbois et piano de Dutilleux est aujourd’hui dans nos murs, dûment signalé dans le catalogue général de la BnF et consultable dans notre salle de lecture du 2 rue de Louvois par tous ceux qui en ont besoin.
La BnF possède-t-elle d’autres trésors de la littérature pour hautbois ? Si oui, comment sont-ils arrivés là ?
Le fonds musical de la BnF est d’une très grande richesse : on dit parfois que c’est l’une des cinq plus grandes bibliothèques musicales au monde. Le département de la Musique détient ainsi les autographes d’un nombre important de chefs-d’œuvre absolus de la musique : cantate Du Friedefürst, Herr Jesu Christ BWV 116 de Jean-Sébastien Bach, Don Giovanni et Concerto pour piano n°23 de Mozart, Sonate appassionata de Beethoven, Sonate Arpeggione de Schubert, Fantaisie pour violon et orchestre de Schumann, deuxième Ballade pour piano de Chopin, Carmen de Bizet, Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, Bolero de Ravel, Sacre du printemps de Stravinsky, Symphonie alpestre de Richard Strauss, Saint Françoise d’Assise de Messiaen… En 2018, certains de ces grands manuscrits ont été présentés dans un ouvrage, Trésors de la musique classique : partitions manuscrites (XVIIe-XXIe siècle), coédité par la BnF et Textuel.
La collection de partitions pour le hautbois est immense et peut permettre de très nombreuses découvertes aux interprètes qui y consacrent un peu de temps. Elle contient aussi les manuscrits autographes d’un grand nombre d’œuvres fondamentales du répertoire pour le hautbois : Quatuor avec hautbois et Quintette pour piano et vents de Mozart (manuscrits légués par l’archiviste et collectionneur Charles Malherbe en 1911), sonates de Camille Saint-Saëns (manuscrit légué par le compositeur en 1921) et Francis Poulenc (manuscrit acquis en 1999), Sérénade pour quintette à vents avec hautbois principal de Jolivet (manuscrit donné en 2008). Il convient de signaler encore le manuscrit autographe du Concerto pour hautbois de Martinů déposé à la BnF par les éditions Durand-Eschig-Salabert.
Manuscrit de la Sonate pour hautbois de Camille Saint-Saëns – gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
| Manuscrit de la Sonate pour hautbois de Camille Saint-Saëns gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France |
| Manuscrit du Quatuor avec hautbois de Wolfgang Amadeus Mozart gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France |
Plus généralement, comment le fonds et les collections se constituent-ils ?
Les collections s’accroissent de manière assez classique par dons, legs, acquisitions ou dations.
Il convient de signaler ici la grande générosité des compositeurs qui ont donné de leur vivant leurs manuscrits à la BnF (Michel Decoust, Hugues Dufourt, Philippe Fénelon, François-Bernard Mâche, Michèle Reverdy,…) et d’un grand nombre d’héritiers qui ont cédé généreusement les manuscrits ou les archives des compositeurs dont ils descendaient : Olivier Messiaen, Pierre Boulez, Jehan Alain, Jean Guillou, Antoine Duhamel, Pierre Jansen…
Il faut redire ici aussi l’importance insigne du mécénat que reçoit le département de la Musique des familles de compositeurs, d’associations comme l’AFH, de la fondation Olivier Messiaen (sous l’égide de la Fondation de France) ou de l’AFER pour permettre des acquisitions importantes et régulières qui enrichissent sans cesse notre patrimoine musical national.
Vous êtes directeur du département de la Musique. Pouvez-vous nous expliquer votre parcours, et en quoi consiste votre métier ?
J’ai été élève à l’École des chartes et j’ai fait parallèlement des études d’histoire à Nancy et à la Sorbonne avant de suivre, comme tous les conservateurs de bibliothèques français, la scolarité de l’ENSSIB. Un stage de milieu d’études à la Bibliothèque-musée de l’Opéra (qui dépend du département de la Musique) a décidé de ma vocation et de mon parcours professionnel : depuis vingt ans, je travaille au département de la Musique de la BnF, à la Bibliothèque-musée de l’Opéra d’abord et depuis février 2016, comme directeur du département.
Mon métier est une douce alchimie de différents composants. Je suis à la fois le manager d’une équipe de quarante-cinq personnes présente sur deux sites (Richelieu et Bibliothèque-musée de l’Opéra au sein du Palais Garnier) et structurée en quatre services ; un pilote de structure qui doit décliner au niveau du département la politique de l’établissement et qui traite de nombreux dossiers stratégiques relativement à la place de la musique à la BnF ; un bibliothécaire qui ne doit méconnaître aucun dossier technique (signalement, conservation, numérisation…) ; un expert scientifique sollicité assez régulièrement pour du commissariat d’expositions, pour des projets de manifestations musicales, pour la rédaction d’essais valorisant les collections ou pour l’instruction de dossiers d’acquisitions ; un médiateur invité à présenter les collections à un grand public et aux médias ; le représentant du département en lien avec tous ses amis et partenaires institutionnels et individuels, français et étrangers, scientifiques, artistiques et financiers…
Je crois que vous avez pratiqué vous-même la musique, et même le hautbois… Est-ce que des compétences ou des savoirs-être que la musique vous ont permis de développer vous sont utiles aujourd’hui dans l’exercice de votre métier ?
Ma formation musicale au CNR de Nancy en solfège, musique de chambre et hautbois a beaucoup compté dans mon parcours et me sert au quotidien, comme vous pouvez l’imaginer. Tous les jours, ou presque, je mobilise ce que j’ai acquis pendant mon enfance et mon adolescence pour lire et comprendre les collections musicales dont j’ai la responsabilité. Ma pratique d’un instrument et mes expériences d’orchestre et de musique de chambre me permettent aussi, aujourd’hui, de comprendre les attentes des interprètes. Enfin, ma sensibilité et ma culture musicale sont totalement structurées par cette formation initiale qui complète tout ce que j’ai acquis lors de mes études supérieures et grâce à mon expérience professionnelle.
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