Hommage'Obois NL11

Hommage'Obois NL11

Hommage’Obois

par Nathalie Lebrazidec

À André Ratte

Lorsque avec une soudaineté impitoyable, la Camarde ainsi que la nommait Brassens, nous prive d’un ami fidèle et attentionné, d’un homme exigeant dans ses formes de pensées, d'un pédagogue en éternelle recherche, d’un artiste inspiré et protéiforme, pétri d’humour et fin connaisseur des plaisirs de la vie... tout bascule. Mon chagrin a ouvert en grand les portes de ma mémoire et m’a conseillé de parler de vous, cher Gastoun, comme familièrement on vous nommait.

Avec votre modestie coutumière, mon cher André, je suis prête à parier que vous ne vous reconnaissez pas dans cet homme si riche de qualités. Il m’appartient donc de vous en apporter quelques preuves. Une simple plongée dans le coffre bien rempli de mes souvenirs, suffira à faire réapparaître ces épisodes marquants qui ont scellé notre amitié.

Hautboïste exceptionnel, vous êtes rentré au Conservatoire de Paris à 16 ans, mais avez dû revenir dans le nord pour subvenir aux besoins de votre maman, veuve de guerre.

Grand pédagogue si apprécié du corps enseignant, vous portiez 2 casquettes.

L'une en tant que conseiller pédagogique pour l'éducation nationale, l'autre au conservatoire de Valenciennes en tant que professeur de hautbois. Ainsi je fais partie de ces innombrables élèves du conservatoire que vous avez aidés à grandir tant sur le plan musical que moral. Vous étiez mon modèle et c'est naturellement que j'ai choisi de m'engager dans une carrière de professeur de hautbois. 40 ans après je continue à suivre vos préceptes : Vécu / Perçu / Conçu ; ne pas se servir de la musique mais servir la musique ; le pédagogue est celui qui ouvre les portes ...

Tant d'autres ont suivi le même chemin que le vôtre, faisant votre fierté.

Premier hautbois aux théâtres de Denain et Arras, à l'orchestre du conservatoire, à l'octuor de Valenciennes, etc... vous enchantiez le public de ce son si mélodieux. Vous étiez à la fois Aglaophonos et Thelxinoé tandis que nous, en héros Ulyssiens, nous laissions porter par vos chants envoûtants. Pas une fois je ne vous ai entendu rater une entrée ou jouer « à côté ». Vous étiez un travailleur laborieux, un artisan exceptionnel qui ne ménageait jamais sa peine. Exigeant pour les autres, vous l'étiez doublement pour vous-même.

À 80 ans, chaque jour vous continuiez joyeusement à travailler vos gammes, une page de Sellner et les partitions de la bande de hautbois de Yann Ricquebourg. Jardinier passionné, vous aimiez parler de vos arbres, vos plantations, vos confitures ...

Votre gentillesse légendaire, votre générosité, votre simplicité et votre ouverture aux autres ne peuvent pas disparaître avec vous, car ce sont des sillons que vous avez su tracer en bon paysan, tout au long de votre vie. Ces sillons ne vont pas s’effacer à la première « drache* » ; ils resteront sur terre la trace visible de l’homme bon que vous avez toujours été et de l’ami que nous n’oublierons pas.

Ma comptabilité s’arrêtera là, car la multiplication de vos qualités dépasse mes capacités de mémorisation. Oh oui! Ce furent des moments bénis, exceptionnels et insouciants. Dieu que c’était merveilleux de ressentir au fond de soi, les pulsations et les vibrations qui, à l’unisson de nos hautbois, provenaient des cœurs de tant de musiciens passionnés. Vous étiez l'initiateur et l’organisateur de nos émotions musicales. Elle est dure à accepter cette tragique réalité humaine. La musique, à l’inverse des croyances égyptiennes, ne confère pas, hélas, la vie éternelle aux musiciens. Le gaulois que vous étiez, abritait en son sein le druide d’une religion du bon vivre. Je tenterai de la perpétuer. Mais je ne vous cacherai pas cher Mr Ratte, que sans votre présence, j’aurai grand peine à en dire la messe. Voilà...Voilà ce que je tenais à vous dire, mon ami, mon professeur, mon maître. Ah! J’allais oublier... Nul doute que Saint Pierre vous ait réservé une place particulière, pour ne pas dire privilégiée. Près, tout près des maîtres de la musique, au coude à coude avec ces géants du hautbois qui ont inspiré vos interprétations les plus abouties. J'aimerais tant vous écouter jouer aux côtés de Jean Claude Malgoire, Pierre Pierlot et les autres ... En attendant ce jour fastueux, permettez-moi cher Gastoun, de saluer en vous l’homme sans lequel la jeune musicienne que j’étais, ne serait pas devenue ce qu’elle est. Et pour conclure cette avalanche de mots, j’emploierai les seuls qui puissent quelque peu adoucir notre séparation :

Il est des Rois sans équipage,
De bien plus nobles que sang bleu,
Qui façonnent de belles pages,
Mais dont l’Histoire se soucie peu.
Je sais un Roi pour moi unique
Qui n’a ni trône ni sujet,
Pas de couronne mirifique,
Et que n’honorent aucun hauts faits...
Mais ce Roi-là fut si puissant
Qu'il se transformait en poète
Faisant chanter tous les enfants
Jouez hautbois, résonnez musette.

* eun drache = la pluie en ch'ti (langage fleuri souvent utilisé par André Ratte)

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